No man’s land

Coups de feu.

Une rangée de vieux chênes s’apprête à dégainer.
En ligne de combat, tout le monde attend.
Ca sonne tous azimut.
Ils claquent les fusils.
Des balles perdues se déposent au sol, silencieuses et molles.

Clapotis, la marre reluit.

D’autres balles s’envolent, s’enfuient, s’échappent, dans la chaire animale.

Clapota, les chiens aboient.

Une bouche, un nez, deux yeux.
Son front.

Triste été.
Notre passé.
Qu’il faut effacer.
Sans jamais pouvoir le tuer.

Son sommeil est lourd.
A moi, il ne me vient pas en plein jour.

Qu’en dirait-elle, si je lui proposais une trêve ?

Pour reposer mon bras qu’elle écrase toujours un peu plus, au fil du temps qui passe, des microsecondes qui s’enfuient désormais dans mon passé.

Qu’il était doux ce « juste avant », ce passé présent. Perdu.
Il ne m’appartient déjà plus.
À elle non plus.
Son visage était lisse. Il ne l’est plus.
Je découvre de jolis petits creux, posés là depuis si longtemps pourtant.
À l’extrémité de son menton tout rose. Au bord de son front. Présent d’antan.

Ma mémoire oublie déjà les imperfections.

Coup de feu.

Je me contiens pour tout garder, des déformations.

La corde du temps s’enfuie entre mes doigts. Je la retiens.
Elle me lacère les mains.
Mes paumes se ramollissent.
Et devant, toute seule, la corde se tisse.

Le sang coule tout le long de mes poings.
Les goutes rouges bordeaux s’agglutinent à mon passé, dans ses moindres recoins.

Mes muscles se fatiguent.
Je ne peux m’en détacher.
Le temps contre moi se ligue.
Je ne vois pas encore le fossé.

Je retiens la corde toujours. Je veux garder les défauts de son visage pour moi. Le battement de ses cils. Ca ne peut pas disparaître si vite.
La corde tire si fort.
J’admire une dernière fois.

Imagine son rêve, repense aux creux, apprécie ses lèvres.

Et puis, sans prévenir, d’un coup sec, la corde m’entraîne.
Je perds l’équilibre.
Elle me traîne.
A l’air libre. Le nuage de poussière, qui s’échappe depuis mes semelles, m’empêche d’y voir clair. La corde se fond, caméléon, dans le décor désertique, sans fond, ni fin. Là où rien ne se termine.
No Man’s Land.

Elle se réveille.
Je suis si vieille.
Découvre son visage de l’oreiller.
Ma course est achevée.

Je l‘embrasse.

A propos Beno's Book

Les cuisses de Régine, les yeux de Georges mes héros, la grande grise, le grand barbu, le bain moussant... Les yeux fermés.
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