Sh’ma Yisroël

Une chambre blanche, la lumière claire de l’hiver au dehors. De grandes baies vitrées. Un peu de jaune, un peu de toi dans la pièce sans vie. Un reste, pas grand chose. Juste les mains, intactes. Sinon, la peau sur des os meurtris par les Guerres. Un tube, pour alimenter ton corps du peu qu’il en reste. Et voilà.
Que reste t-il sinon l’âme, les souvenirs, les joies, les peines ?
La vie toute entière.

Mes pas deviennent lourds. Les attentions, difficiles à donner. Un peu de ma peau sur ton front si lisse encore. Si doux. Il n’aura jamais changé lui. Voici le seul souvenir de toi que je garde en mémoire. Et pour toute mon éternité. Le reste n’est plus qu’amas de chaire. Le sang coule encore. Et pour si peu de temps.

Réveille toi.

Je fais parler ton corps, j’ajuste ta main contre tes tempes. Nous crions ton nom. Dans la chambre nos voix ne résonnent plus. Il n’en est plus le moment.
L’énergie te manque pour ouvrir les paupières, j’en aurai tant à te donner. Mais elle n’en a pas décidé comme cela, la vie.

A travers le drap blanc, je devine ton corps, recroquevillé sur lui même, enfantin. Minuscule sous la fine couche de tissu.

Réveille toi.

Plus rien ne vit désormais. Ton cœur, peut être, est-il encore le seul à battre la mesure.
La douleur d’avoir à respirer encore, t’est-elle insurmontable ? Une petite dose d’insuline apaiserait le mal. Souffres-tu ? Veux tu un baiser ?
Je t’en donnerais 100, si j’avais encore le temps. Si seulement la vie voulait bien me l’offrir.
Mes efforts sont vains, je te secoue, tu n’entends plus rien.

Réveille toi.

Tes paupières me font signe de te laisser désormais en paix.

Qu’il t’y accueille bien, là haut, le Grand Barbu.
Mes doigts collés contre tes yeux. Fermés. Les miens, dans la méditation sous mon autre main.

« Sh’ma Yisroël ».
La dernière prière.

Un souffle contre tes tympans. Mes lèvres timides, s’entrouvrent pour te murmurer un dernier « Au revoir ».
Une dernière flamme encore, pour se dire que la vie peut continuer. Un dernier espoir au nom de l’humanité.

Réveille toi.

Un dernier regard à travers l’entrebâillement de la porte.
Dernière lueur, dernier rayon de lumière. Le soleil s’en va déjà. C’est l’hiver. Bientôt Noël.

Trois jours se sont écoulés et je n’ai vu ni la clarté du petit matin, ni les lampadaires qui s’allument, le soir tombé. J’ai hurlé ton nom dans des rêves dont je ne me souviens déjà plus. J’ai éloigné la mort et ton corps de mes pensées, pour retrouver ton âme quelque part. J’ai cherché longtemps. Dans des mers agitées, dans la profondeur des terres, dans des pans de murs laissés à l’abandon. Je t’ai trouvé. Partout et nulle part. Je n’ai pu m’accrocher à rien d’autre que cette fichue bague en or et son « S », fier, gravé en son sommet. Cette chevalière trop grande pour mes doigts si fins. J’ai éteins la lumière, je l’ai rallumé. Je l’ai fait 100 fois dans l’espoir de te retrouver. Je me suis levée, me suis recouchée. Je n’ai pas quitté la bague. Sous la douche, sous l’évier, sur ma moto. Je l’ai embrassé, comme je t’ai donné un dernier baisé sur le front.
Le soir de Noël, le 5ème jour de Hanouka, j’ai bien mangé et bien bu. J’ai lancé des regards de joie aux 5 bougies qui se consumaient sous mes yeux. Chez nous, tu te souviens, on est pas triste les jours de fêtes. Je suis allée me coucher. J’ai gardé la bague. Mais dans la nuit noire, le matin très tôt, le jour de Noël, je me suis levée de mon lit, pour faire quelques pas dans la pièce sombre. Mes mains avaient gonflés sous la chaleur du radiateur. J’ai retiré la bague.

« Papy est parti, ce matin à 6h00 ».

La chevalière trônait sur ma commode. Elle scintillait de mille feux sous la lumière d’un triste soleil d’hiver. Je n’ai pas quitté le bijou des yeux. J’ai pensé très fort à toi. Si fort que j’ai contracté tous mes muscles pour ne pas avoir à hurler contre la vie.

J’ai remis la bague sur mon plus gros doigt, en me disant que, plus jamais, je ne la quitterai. L’instant fut solennel.

Ce soir, c’est noël, la bague est lourde.

A propos Beno's Book

Les cuisses de Régine, les yeux de Georges mes héros, la grande grise, le grand barbu, le bain moussant... Les yeux fermés.
Cet article a été publié dans En voyage. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Un commentaire pour Sh’ma Yisroël

  1. trauttmann regine dit :

    Que dire après ce ressenti si touchant, si émouvant, et ces mots plaqués sans fioriture comme les obsèques de Papy, de la vie à après….un passage rempli de douleur pour nous tous qui restons figés dans nos souvenirs si présents et la mémoire d’une communauté, d’une vie, souvenirs émouvants de l’Algérie comme si nous y étions tous nés tellement il a su nous en parler…
    La mémoire, la transmission de tout ce qu’il nous laisse, c’est à vous désormais de poursuivre le chemin et dans la joie toujours,car joyeux il le fut toujours….
    A la Hasbah de la Casa…ma Princesse de toujours…
    MAMAN

Laisser un commentaire