Baromètre

Elle est un peu tout. Elle n’est finalement qu’une tache dans l’immensité de la vie et pourtant. Elle transcende l’espace, fusille du regard la vie, sourie si fragilement. Elle transporte par sa seule présence n’importe quel inconnu qui viendrait à croiser son chemin. Elle porte de si lourds bagages pourtant. La vie s’adoucie à ses côtés. C’est si touchant, elle se voit si dure. On aimerait tant qu’elle nous aime. Sans aprioris, sans amertume, sans le passé. Elle est intransigeante.
Elle est notre sud, notre est, note nord et notre ouest. Elle est le baromètre qu’on tapote du bout du doigt jeune, lorsqu’on quitte l’appartement familial. Comme pour se rassurer que tout à l’heure, demain peut être je ne sais plus, il fera beau. Parfois l’aiguille tombe très bas. Et puis un jour, comme ça, au hasard, il fait beau. Elle indique. Elle conseille. Elle rassure, comme elle peut. C’est comme au loto, ca vient au moment où l’on s’y attend le moins. Elle écrase les bonnes intentions des autres, juste parce qu’elle trouve les mots justes. Elle saurait être une très bonne avocate, dans une autre vie.
Elle sait aimer. Elle sait donner. Elle sait prêter aussi. C’est à se demander ce qu’elle ne sait pas faire.
Elle éteint les lumières du tout Paris, elle arrête le soleil s’il venait à briller, elle interrompt les vagues sur le bord des Océans, elle vainc les tremblements de terre. Elle est assez forte pour me porter, elle saurait l’être pour le monde tout entier. Elle sauvegarde mon âme, elle pourrait soutenir l’humanité si elle le voulait. Elle est intemporelle. Elle s’interroge, comme tout être humain. Elle cherche et trouve le bon chemin. Pour elle, pour les siens.
Elle aimerait donner son sang, mais c’est déjà bien assez. Elle ne vieilli jamais. Elle prend son temps. Elle compte les secondes, dans sa tête seulement. Elle ne le partagerait pour rien au monde. C’est pour elle une marque de faiblesse que de voir les graines du temps s’éparpiller sous ses yeux. Alors sur la plage, quand on y va, elle prend des poignées de sables et elle fait s’écouler le temps sous sa main, pour au moins, lui, le contrôler. C’est un rêve dont elle sait bien qu’il faut s’en échapper, pourtant, le geste, elle le reproduit sans s’en lasser, aux côtés de celle qu’elle aime et qui paisiblement s’est endormi dans le creux de son épaule.
Elle ferait taire, les klaxons du tout Paris pour apprécier le silence de la vie.

Elle se marierait.
Avec celle qu’elle aime et pour qui elle décidera de devenir le baromètre. Toujours le même qui trône chez Régine, juste à l’entrée de l’appartement. Celui qui me disait tous les jours, il va faire beau. Souvent, il m’arrivait d’être déçue pourtant. J’arrivais avec tant d’espoir devant lui. J’y mettais tant d’intention. Mais la vie ne trompe pas. Parfois elle décide de se montrer douce et parfois….

Près de 20 années ont passés. 20 années à vivre la vie comme elle voudrait bien se présenter à moi. 20 ans à contempler le soleil se coucher à Paris, à Syndey, Montréal aussi. 20 ans et quelques fois où, en apnée, j’ai admiré l’immensité de la vie dans des taches lumineuses tout au fond du ciel. Il paraît qu’on appelle ça des étoiles. 20 ans de vie, pour trouver les bonnes raisons d’y accorder une importance. Quelques années à me fasciner pour les mathématiques. Quelques mois seulement, à résoudre des équations à plusieurs inconnues. Un seul moment pour me rendre compte qu’il n’y à qu’une seule équation qui vaille. Celle qui n’a qu’une inconnue. Une unique pour toute la vie, ça suffit amplement pour un seul être humain.

Un seul instant où l’on arrive à s’accorder à deux. C’est rare. Ca fait toute une vie aussi.

Elle va se marier. C’est un roc. Rien ne pourra l’en empêcher. Et tant mieux.
Elle restera éternellement mon baromètre.

D’elle, j’en ferais un papyrus, que j’envelopperai délicatement à l’intérieur d’un tube en verre. Comme un petit mot qu’on voudrait garder toute sa vie sans jamais le lire à nouveau. Je le clouerai à l’entrée de mon chez moi. Sur ma porte. J’aurai beau déménager, je l’empaquetterais toujours en dernier, dans le souci qu’il ne se brise pas au milieu des décombres du passé. Je le garderai tout près de moi, dans ma voiture et pas dans le camion que je suis.

Et si un jour, par mégarde, j’égarai le papyrus enveloppé, s’il s’échappait de ma voiture, s’il décidait de s’en aller.

Alors, j’achèterai le plus beau des baromètres.

A propos Beno's Book

Les cuisses de Régine, les yeux de Georges mes héros, la grande grise, le grand barbu, le bain moussant... Les yeux fermés.
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