ZEPHYR

Se débarrasser des poids de la vie. S’échapper des nuits entières, des soirées accompagnées, pour penser que l’on est pas seul. Se faire un seul ami, pour toute la vie.

Un ami qui nous accompagne si’ l’on est triste, un compagnon qui nous emporte sur les routes sinueuses. Avec lui, on ne tombe jamais.

On s’en persuade, sinon on ne le suit pas, jamais. Il pourrait nous faire quelques frayeurs parfois. C’est aussi pour ça qu’on l’aime. On se sent vivre à ses côtés. Il est le prolongement de moi-même. Il s’énerve au rythme de mon pouls qui s’emballe ; le soleil s’en va déjà se réveiller de l’autre côté du monde. A ses côtés, on est nouveau tous les jours. Il nous libère. On pourrait passer des jours entiers, des mois et des années à ne jamais se parler. Il nous comprend. Ensemble, on regarde le soleil se lever sur les quais de Seine ; la lune s’éclairer, le soir tombant. On ne se lasse pas du quotidien. Tout est différent. Comme si la vie s’éclairait à nouveau en permanence. C’est l’aventure. Aller à la Poste, faire ses courses au supermarché. Aller faire un tour, pour rien, pour le plaisir. Juste comme ça.

Ensemble, on pourrait bien tout faire. On fait des cabrioles, pour sentir que la vie peut nous échapper à tout moment. Les bobos, ca les fait trembler. Les autres, avec leurs jeans tubes serrés jusqu’aux chevilles, qu’est ce qu’ils en savent de la vie ? Que peuvent-ils en avoir bien à foutre du soleil qui se couche ou se lève. De mes états d’âme, de mon humeur qui change en un éclair. Des montagnes russes qui me cognent la tête. Du passé, du présent avec lequel je compose mon futur. Au fil de la partition qui se dresse devant moi, blanche… Des lignes et des lignes de fausses notes. De croches, de rondes, de noires qui tissent le tableau imparfait d’un juste avant qui sonne faux en permanence. Elles résonnent en mesure, sans que je ne puisse les étouffer. En concert, elles se liguent contre moi.

A toutes ces choses que j’ai raté.

Il nous extirpe du passé qu’on a juste envie de laisser derrière soi. Tant et si bien, qu’on s’oublie en lui. On oublie les siens, on oublie qu’il en existe, des autres, les nôtres, avec qui l’on parle. Avec qui l’on échange en terrasse de café, parfois, quand c’est l’été, quand le soleil vient caresser les nuques des jeunes femmes. Quand on a quelque chose à raconter, ou parfois quand on a juste envie d’écouter. On oublie qu’on pourrait leur manquer.

Et il y a ce jour. Un soir, une nuit, tard, dans Paris, dans une rue qu’on ne connaît pas. On oublie.

On n’y pense déjà plus à la soirée qui vient de s’écouler. Le temps a fuit comme les très fins cristaux blancs qui se sont écrasés tout au fond du sablier posé sur la table en bois.

On manque presque de le suivre. Inutile remarque, il nous porte. On le laisse faire.

Je n’y pense plus aux lignes blanches qui éclairent par intermittence le coin gauche de mon œil. A vrai dire, il a suffit de peu pour qu’elles deviennent déjà une ligne continue et bientôt mon regard s’y perd. La nuit est sombre. Pas un chat dehors. A peine quelques lampadaires qui dominent la rue créant des tâches lumineuses à certains endroits.

Soudain, il fait froid. Chacun de mes membres se relâche, je sens mon corps se détendre, mes cuisses se décontracter. Mon cerveau se mettre en veille, tout seul. Sans m’en avertir. Je m’endors.

Il est étrange ce moment. Ce n’est pas un rêve. Pourtant on pourrait le penser. Ce n’est pas non plus réel. Il n’y a rien à toucher. Plus de minutes ou de secondes. Désormais, je ne serai plus en retard, ou à l’heure. Etendue sur la chaussée, l’éternité défile. Lentement. Au rythme de mes paupières qui se referment. Epuisement. C’est en fait agréable de se laisser porter à s’en aller. On ne le fait pas contre eux ou pour elle. C’est enfin à moi que je pense. Je m’endors, elle me réveille. Je dis mon nom. Elle me secoue. Je somnole. Elle se rapproche. Je repars. Elle me tient. Elle sourit. Moi aussi. La vie.

A propos Beno's Book

Les cuisses de Régine, les yeux de Georges mes héros, la grande grise, le grand barbu, le bain moussant... Les yeux fermés.
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